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  • Corentin Marillier

Alberto Carretero "La musique comme transcendance"

Dernière mise à jour : 7 déc. 2021


Alberto Carretero (1985*) est un compositeur espagnol, basé à Séville. Si nos chemins se sont d'abord croisés à Graz et Darmstadt en 2017 et 2018, c'est une nouvelle fois à Royaumont où nous avons véritablement appris à nous connaître et où j'ai eu le plaisir d’interpréter sa pièce "Nox Est Perpetua" donnée le 5 septembre dernier dans le cadre du festival de Royaumont.








Lorsque j’ai préparé notre entretien, j’ai découvert qu’en plus de ta formation musicale tu avais suivi de nombreux cursus tels que le génie informatique, la musicologie et le journalisme ! Je me suis demandé comment tout cela s’était articulé par rapport à ton parcours de compositeur ?


Il m’a toujours paru très clair que je voulais devenir musicien. La musique m’a toujours accompagné dès lors que j’ai commencé à étudier le piano. J’ai suivi un cursus classique au conservatoire tout en nourrissant un intérêt pour les matières scientifiques et technologiques. Après mon bac, je me suis décidé à étudier la composition, car outre ma pratique instrumentale, j’étais tout aussi intéressé par la composition et l’improvisation.

En même temps que mes études musicales, j’avais décidé de suivre un cursus de génie informatique. Il y avait une grande composante assez forte de mathématique et physique et je trouvais les connexions avec la musique extrêmement interessantes. Je découvrais à ce moment la musique électronique et évidemment je réalisais que l’informatique était un outil formidable, notamment concernant la programmation. Bien que ces deux cursus étaient très différents, j’aimais les spécificités de chacun: j'appréciais la vie universitaire qui englobait une sociologie extrêmement multiple. D’un autre côté, le conservatoire (qui est tout comme en France séparé de l’université) où tout était beaucoup plus réduit, où l’on évoluait dans un environnement quasi-familial.

Cependant, j’ai toujours su que l’informatique ne serait qu’un outil de plus dans ma recherche et l’important était de l’intégrer à ma pratique de compositeur: pas comme un ensemble de connaissances théoriques mais comme une source d’inspiration. J’interrogeais les liens entre des concepts scientifiques tels que le raisonnement, la démonstration, l’épistémologie avec le processus intellectuel de création.


De même, pour la musicologie que j’ai étudié après avoir fini mon cursus de composition, cela obéissait à mon envie d’approfondir ma connaissance des musiques traditionnelles, les musiques de traditions orales, la musique sacrée… Quant au journalisme, depuis très jeune, j’ai toujours aimé écrire: poèmes, critiques musicales ou essais. Et si cela a toujours été naturel, il faut dire qu’avec l’âge et mon activité de compositeur, j’ai de moins en moins le temps.


Comme je te l’expliquai, je considère tout ces diplômes non pas comme des titres accumulés qui n’auraient rien à voir les uns avec les autres mais comme une connexion logique entre chacune des pratiques, avec comme axe principal la musique.



Tu as beaucoup collaboré avec différents artistes qu’ils soient chorégraphes, danseurs, chanteurs ou musiciens issus des musiques traditionnelles, comment approches-tu ce travail transdisciplinaire ?



Je me suis rendu compte qu’en comparant différentes pratiques artistiques qui donnent l’impression de ne partager que très peu de paramètres communs, on finit souvent par trouver des formes de structures assez similaires.

Lorsque je travaille avec des chorégraphes, il y a naturellement une période d’adaptation, liée à la découverte et à la spécificité de la danse. Mais très vite, vient le moment où je me dis « c’est la même chose ».


Ce que je crois, c’est qu’il existe un fonctionnement universel dans notre manière de penser le processus créatif. J’ai autant appris sur ce qu’est la composition en étudiant la peinture, la littérature, qu’en côtoyant des compositeurs. Evidemment la connaissance du répertoire est importante, mais je crois à un processus de création universel qui traverse toutes les pratiques. Il y a beaucoup plus de choses en communs que de différences. Je trouve ces points de contacts et de rencontres extrêmement stimulants.



Tu as autant fréquenté la vie musicale française que allemande. Comment tu te situes par rapport à ces deux mondes et au pays où tu vis, l’Espagne, dont la culture musicale est aussi très spécifique ?


Est ce que ma musique est espagnole ? Je pense que oui, même s’il n’a jamais été intentionnel de le revendiquer. Beaucoup de personnes notent dans ma musique des références à la culture espagnole (au flamenco etc) sans que cela soit forcément conscient de ma part.


Quant à mon parcours qui m’a mené tantôt en France, tantôt en Allemagne dans différentes académies et festivals, j’ai tendance à considérer l’opposition entre ces deux mondes musicaux comme « démodée ». Bien sûr qu’il existe des spécificités et je ne veux pas laisser penser que la globalisation aurait tout emporté. Toutefois, que ça soit en France et en Allemagne, il existe une institution encore très forte, couplée à des écoles ou des courants esthétiques sur lesquels l’institution s’est construite des garanties. Tout cela a été rendu possible par des personnalités fortes telles que Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen qui ont été capable d’impulser une énergie avant-gardiste tout en se coupant d’une partie du monde musical de cette époque. Le cas de l’Espagne est assez différent: la dictature du régime franquiste qui se termine en 1977 (date des des premières élections démocratiques après la mort de Franco en 1975) a eu un impact énorme dans le retard vers la modernité. De part notre proximité géographique, il est vrai que les regards se tournaient plutôt vers la France et Paris. L’Espagne a connu des compositeurs exceptionnels, même durant la dictature, mais l’impossibilité d’être soutenu financièrement ou même philosophiquement et idéologiquement dans l’idée de moderniser le monde artistique a rendu extrêmement difficile l’émergence d’une « musique espagnole contemporaine », au même titre que la musique sérielle puis spectrale etc.

Pourtant, il est vrai qu’il existe une filiation, mes références les plus proches, sont les compositeurs espagnols des générations précédentes, Cristóbal Halffter, Luis de Pablo, José María Sanchez Verdú, Mauricio Sotelo ou José Manuel López López pour ne citer qu’eux.



Tu es toujours très au fait des nouvelles techniques instrumentales et électroniques. Il y a presqu’un côté laboratoire dans ton travail.


Cette recherche est essentielle pour moi car elle fait appel à notre imaginaire, à nos fantasmes… Je prend souvent comme image celle d’un enfant qui découvre un objet et qui l'explore avec curiosité et naïveté. L’idée du laboratoire c’est une manière d’inventer, d’aller au delà de ce que l’on possède et de ce que l’on connait. Nous inventons nos propres jeux: imaginer des choses irréelles pour ensuite s’en approcher par la recherche. Cela me touche énormément. Après le laboratoire doit se matérialiser dans une pièce artistique, avec une pensée esthétique forte et une bonne réalisation technique solide.




Deux de tes oeuvres Métaforas et Etude de proximité semblent toutes deux questionner la relation entre sons acoustiques et sons électroniques.


Ces deux pièces traitent d’une question qui est au centre de mon travail: comment décontextualiser les paramètres physiques du son ?


Avec Métaforas, pour percussions solo et électronique, j’ai cherché à changer la morphologie du son en modifiant les modes de jeu traditionnels ou bien en confectionnant des baguettes hybrides (par exemple avec différentes têtes). Il en résulte des textures très proches de l’électronique où il est difficile d’établir des connexions entre la source visuelle et le résultat produit. Cela permet justement d’établir une « métaforas », une métaphore sonore proche du concept littéraire à savoir: changer la signification d’une expression ou d’un mot. Encore une fois on retrouve cette idée d’ouvrir un imaginaire.


A propos de Etude de Proximité, pour percussions solo et live électronique, la première étape de travail consistait à choisir l’instrumentarium qui est une étape primordiale car elle va conditionner toute le reste de la composition et le processus. J’avais envie de faire une pièce avec de petits instruments et avec Philippe Spiesser (commanditaire et interprète de la pièce), nous avons réfléchi ensemble sur les possibilités qui s’offraient à nous. Finalement le coeur de l’instrumentarium s’est porté sur plusieurs tambours sur cadre sur lesquels nous avons placé plusieurs objets afin de transformer le son naturel du tambour (aiguille à tricoter, cymbales chinoise, rims et cloches) et avons joué sur les résonances en sympathies. Le tout est amplifié à l’aide de micro contacts dont le signal sera ensuite transformé à travers un patch MAX/MSP. La pièce dure vingt minutes et nous avons surtout travaillé sur les différentes possibilités de transformation et de résonance à travers différents modes de jeu (rebonds, utilisation d’archets etc.). L’idée était de continuer les explorations que j’avais effectuée avec Métaforas. Tout au long de nos vies de compositeurs, nous semons toujours à l’intérieur de nos pièces les mêmes questionnements et obsessions.


La preuve en est, Etude de Proximité rejoint une des thématiques sur lesquelles je travaille depuis plusieurs années à savoir le concept d’étude. Si le terme d’ « étude » en musique est souvent rattaché à l’exercice où l’étude devrait forcément pallier une difficulté technique précise, j’ai essayé de me placer d’un autre point de vue à savoir celui de l’essai en philosophie, c’est à dire une réflexion centrée sur un sujet précis qui sera traité et analysé en profondeur. J’ai choisi cette approche et composé plusieurs études: intensité, fragilité, vélocité. Comment à partir de ces sujets physiques et théoriques, créer une écoute sensible.



Un autre aspect de ton travail qui transparait à l'écoute de pièces comme « Haikus de Machado » ou « Nox Est Perpetua » c'est ton intérêt pour la spiritualité. Beaucoup de tes oeuvres s’inspirent de la littérature, de poèmes et de la liturgie et on y ressent très fortement ce côté méditatif.


Lorsque j’ai du présenter mon travail aux autres compositeurs lors de l’Académie Voix Nouvelles organisée par la Fondation Royaumont, je me souviens qu’un de mes jeunes collègues m’avait dit:

« mais tu es un compositeur religieux ! » (rires)


C’est vrai que j’utilise parfois des titres en latin pour certaines de mes pièces mais cette question de la religiosité dans ma musique dépasse la question de savoir si je suis religieux ou pas.

De fait, notre rapport à la religion en Espagne (et spécialement à Séville où je vis) est complètement différent de celui que vous avez en France, où l’Etat et la religion sont séparées. La religion fait partie de notre tradition et du folklore, elle est ancrée dans notre culture et dans notre manière de vivre même pour beaucoup de mes amis athées qui se retrouvent à jouer dans des processions.


Aujourd’hui encore on considère une musique religieuse comme forcément liée au divin or ce qui m'intéresse dans la religion c’est la notion de transcendance. Je considère l’art (et donc la musique) comme un moyen de s’échapper du monde physique, de la banalité de notre existence et de nos doutes et interrogations concernant notre nature humaine. La musique est un des médiums pour accéder à cette transcendance et plus particulièrement à travers l’expérience du concert que je relie à celle du rituel, cette idée que le collectif peut nous faire accéder à un au delà.






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